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16 octobre 2017
Naufrage de chantier et site fantôme… à qui le tour ?

L’actualité récente fournit plusieurs exemples d’arrêt de projet en cours de chantier.

Dans cet article, on ne parlera pas d'annulation de réacteurs "planifiés", "programmés" ou "prévus". Non, définitivement, ceux-là sont trop nombreux. Dans les pays déjà nucléarisés, ils peuvent effectivement faire les frais d’une crise économique. Ce fut le cas du Canada, annonçant en juin 2009 l’arrêt du projet de tranches neuves en Ontario. Ces pré-projets peuvent aussi être enterrés à la suite d’un changement de politique énergétique. C’est d’actualité en Corée du Sud, avec l’abandon des tranches planifiées sur le site potentiel de Cheonji. Ou bien c’est la peur ayant vu le jour après un accident majeur qui incite à jeter l’éponge. Cette raison a été particulièrement prégnante dans le revirement de nombreux pays newcomers après l'accident de Fukushima.

L'article se focalise donc uniquement sur une autre catégorie de projets ; les projets abandonnés sans attendre la mise en service de la tranche, alors même que sa construction est entamée. Ces abandons, moins nombreux que les annulations évoquées ci-avant, ont en revanche des conséquences négatives souvent immédiates, brutales et sévères.

 

L’actualité le montre dans le cas de VC Summer en Caroline du Sud. Alors que l’ingénierie de ce projet de deux réacteurs AP1000 est terminée à 90%, que tous les générateurs de vapeurs et la moitié des pompes primaires de la tranche 2 sont arrivés sur place, que la construction est avancée à 34% et le projet à 64% dans son ensemble, les commanditaires (SCE&G + Santee Cooper) ont décidé d’arrêter les travaux le 1er août 2017, remerciant le jour même les 6000 ouvriers du chantier.

Les débats entre les parties prenantes et l’autorité publique se focalisent maintenant sur deux volets. D’abord, l’attribution intégrale de la responsabilité de ce gâchis à la banqueroute de Westinghouse en mars 2017 n’est finalement pas évidente. C’est en tout cas ce que semble montrer le rapport d’expertise du projet fait par Bechtel en 2016 à la demande de Santee Cooper, exploitant public et actionnaire minoritaire du projet. Ensuite, entre garantie financière de Toshiba, répartition des pertes entre actionnaires, vente de Santee Cooper et rachat de crédit, les tentatives pour limiter les conséquences financières ne pourront éviter une répercussion à long terme sur la facture d’électricité des consommateurs de Caroline du Sud.

 

En terme financier justement, les dégâts ont également été phénoménaux dans le cas de la centrale de Lemoiz, dans le pays basque espagnol.

Avec une ardoise de près de 6 milliards d’euros, le contribuable espagnol paye encore ce naufrage aujourd’hui, plus de 30 ans après l’arrêt définitif des travaux, en indemnisant l’exploitant qui n’a jamais pu démarrer les tranches, pourtant achevées complètement. Mais le triste bilan de ce projet de 2 tranches PWR de 900 MWe comporte un volet bien plus dramatique. La construction avait démarré en 1972, pilotée par l’opérateur Iberdrola (Iberduero à l’époque), autorisée par le régime de Franco. Après sa mort en 1975 et le changement de régime, des manifestations importantes d’une part de la population opposée au projet de Lemoiz se sont alors succédées sur la deuxième moitié de cette décennie ; jusqu’à ce que cela vire au drame. Des violences policières tuent d’abord une jeune manifestante écologiste en juin 1979. Ensuite, le mouvement armé ETA s’en mêle, en enlevant en 1981 l’ingénieur en chef du chantier, avant de l’assassiner. Il réitère ce macabre chantage auprès du gouvernement : arrêt du projet ou assassinat de l’ingénieur en chef (remplaçant le précédent). Même refus, même triste issue.

 

3 ans (et 2 assassinats supplémentaires) plus tard, le projet est définitivement enterré par le gouvernement de Felipe Gonzalez, en 1984. Aujourd’hui, ce site abandonné, avec ses bâtiments de béton battus par les vents de l’atlantique et ses parkings tapissés de mousses reste un spot de choix pour les amateurs d’urbex – photographie des lieux abandonnés.

Ces mêmes amateurs seront ravis s’ils font le voyage à Shcholkine, en Crimée. Commencée en Ukraine sous l’ère soviétique en 1976, ce réacteur VVER était toujours en construction 10 ans après, lorsque survient l’accident de Tchernobyl. La tranche ne démarrera finalement jamais. Après plusieurs inspections montrant des faiblesses du site concernant son implantation, en terme géologique, et l’effondrement du bloc de l’est, le projet est définitivement enterré en 1989. Les fantômes courent toujours depuis entre les bâtiments que le temps émiette petit à petit…

A Taïwan, le non démarrage de Lungmen 1 et 2, a eu des conséquences spectaculaires sur le quotidien de l’île : elle a subi des coupures de courant généralisées (notamment le 15 août dernier), très peu goûtées par la population habituée depuis longtemps au confort moderne et par les industries hi-tech de ce dragon asiatique. Mais ces évènements ne sont finalement qu’anecdotiques face aux autres conséquences générées par la décision politique d’abandonner ce réacteur flambant neuf : l’électricien réclame une compensation pour les 10 Milliards de dollars dépensés pour construire les tranches, les émissions de GES augmentent au lieu de baisser, les cerveaux investis dans le projet et démoralisés par cette décision fuient à l’étranger…

En Corée du Sud, la construction des tranches 5 et 6 du site de Kori a été stoppée en août dernier (suite à l’annonce du President Moon en mai 2017, cf article précédent) et la décision de reprendre ou pas le chantier, remise à plus tard. Le moment de cette importante décision approche. Les équipes engagées dans la construction des deux réacteurs APR1400, dont le degré d’achèvement est d’environ 30%, sont depuis 4 mois au chômage technique. Les entreprises de construction, les ouvriers, les ingénieurs, le tissu économique local attendent donc tous maintenant le résultat de la consultation populaire organisée par le gouvernement. La question a été posée à 428 individus tirés au sort sur un panel total de 100 000 personnes de la région de Kori, en respectant une répartition socio-professionnelle représentative. A cette population, le gouvernement a tout bonnement demandé s’il fallait reprendre le chantier pour l’achever ou bien abandonner définitivement. Ce procédé, lâche et appelé parfois « démocratie participative », est en vogue dans les cercles politiques en manque de leadership.

En l’occurrence, l’abandon définitif sera bien une décision politique, pas populaire. En effet, Moon a pris soin de préciser que le résultat de la consultation sera utile pour…qu’il tranche lui-même ! C’est un pari de politicien ; à pile ou face.

Si le résultat est « NON » à l’achèvement des travaux, alors il aura beau jeu de jeter le bébé avec l’eau du bain, en arguant que la population soutient son action. Il pourra alors même-qui sait- dévoiler un plan pour compenser cette puissance (2 x 1340 MWe) non mise à disposition du réseau dans seulement 3,5 ans (mars 2021) pour shin-kori 5 et 4,5 ans (mars 2022) pour shin-kori 6 …

 

Si le résultat est « OUI », il pourra quand même décider d’arrêter définitivement le chantier ; cette fois, en parlant d’intérêt supérieur de la nation peut-être - supérieur à celui de la région.

Quoiqu’il en soit, en cas d'arrêt définitif, les quelques milliards engloutis s'ajouteront aux dégâts déjà causés par le gel des travaux intervenus juste après l'élection de Moon. Les chaebols impliqués dans la construction et souffrant donc de l'arrêt brutal ont lancé une action judiciaire ; l'écosystème local constitué des petits acteurs économiques indispensables à la vie du chantier (logistique, hébergement, transports, nettoyage, gardiennage, commerces...) s’est effondré ; les Saoudiens, alors qu’ ils viennent de lancer l’appel d’offres international newbuild, commencent à douter des Coréens.

 

Les milliards perdus et les impacts socio-économiques seront de in fine bien payés par le contribuable coréen, qui est aussi électeur...

 

Les temps sont décidément difficiles pour les réacteurs de génération III en chantier. Après 2 tranches ABWR à Taïwan, 2 AP1000 aux Etats-unis et bientôt peut-être 2 APR1400 en Corée, il est fort à parier que les regards de Rosatom sont déjà braqués sur Olkiluoto en Finlande, avec peut-être le secret espoir en tête de voir sombrer définitivement ce projet EPR. Cela leur permettrait d’annoncer au monde que leurs chantiers de réacteurs de génération III vont à toujours à leur terme, eux.

 

Pour l’instant.