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29 décembre 2017
Challenge énergétique de l’Union Européenne ; du nouveau à l’Est.

L’énergie comme outil d’influence ou comment se dessinent des projets structurants de part et d’autre de la frontière entre l’UE et ses voisins.

L’est de l’Union Européenne partage des frontières avec des pays dont l’orientation énergétique provient en partie des relations qu’ils ont avec l’ex grand frère russe. Il est intéressant d’y observer ce qui se trame actuellement, car les réacteurs nucléaires dans ces pays sont tout autant un outil d’influence politique qu’un moyen de produire de l’électricité. En février 2017, le gouvernement lituanien a déclaré une fois encore à Bruxelles son inquiétude et sa réprobation concernant la construction de la centrale nucléaire d’Ostrovets (Astravets), en Biélorussie. Deux réacteurs VVER de 1200 MW y sont en construction. En octobre 2017 a été posé le dôme de la tranche 1 dont la mise en service est prévue pour 2019 ; celle de la tranche 2, pour 2020.

 

Les raisons du questionnement lituanien sont multiples.

 

Poste frontière entre la Lituanie et la Biélorussie

D’abord, l’appréhension en matière de sûreté trouve ses racines tant dans l’histoire que dans la géographie. L’accident de Tchernobyl il y a plus de trente ans subsiste dans les mémoires et ses conséquences régionales entretiennent légitimement les peurs. Ainsi, tout comme la centrale ukrainienne accidentée est située à 130 kilomètres au Nord de Kiev, la centrale bélarusse est en construction à 150 kilomètres au Nord-Ouest de Minsk. Et tout comme Tchernobyl est frontalière du territoire biélorusse, Ostrovets est située à seulement 15 kilomètres de la frontière lituanienne.

Dès lors, quand on sait que 70% du terme source relâché dans l’air lors de l’accident de Tchernobyl est retombé sur le sud de la Biélorussie, on comprend les inquiétudes des lituaniens : la partie Est de leur territoire concentre 1/3 de sa population autour de Vilnius, située justement à seulement 50 kilomètres d'Ostrovets.

Pour envenimer un peu plus le sujet, la rivière nommée Viliya en Biélorussie, source froide de la centrale d’Ostrovets, n’est autre que celle baptisée Néris quelques kilomètres en aval, quand elle fournit l’eau potable à Vilnius

 

En soit, ce ne pourrait pas être un argument solide quand on songe à certains réacteurs nucléaires déjà construits dans l’Ouest européen à proximité de zones urbaines denses. L’enjeu dès lors est d’éviter toute catastrophe et d’en limiter les conséquences en cas de survenue. Mais, la méthode des Biélorusses a tout lieu de renforcer l’inquiétude des autorités lituaniennes : déclaration à l’emporte-pièce de l’autocrate biélorusse sur l’objectif principal (atteindre le record mondial de la centrale nucléaire construite le plus rapidement et au plus bas coût !), erreur de manutention lors de l’introduction de la cuve du réacteur 1, conduisant à sa chute le 10 juillet 2016,  non-respect de la convention onusienne ESPOO qui porte sur les grands projets structurant nécessitant une évaluation de l’impact environnemental transfontière. Pour examiner les bonnes pratiques relatives à l’application de cette Convention aux activités liés à l’énergie nucléaire, la dernière réunion triennale des pays signataires de l’ESPOO s’est justement tenue….le 15 et 16 juin 2017, à Minsk !

 

 

Au mécontentement s’ajoute aussi l’inquiétude, lorsque que le volet géopolitique entre en jeu. En effet, le projet est complètement piloté (d’aucuns disent « manipulé ») par la Russie. Tout d’abord, les tranches sont entièrement construites par le russe Atomstroyexport et 10 des 11 Milliards de dollars nécessaires au projet sont prêtés par la Russie.

Ensuite, ce projet est arrivé comme une deuxième tentative des russes ; la première (abandonnée en 2013) ayant été de construire directement dans l’enclave russe de Kaliningrad, coincée entre la Pologne et la Lituanie. Mais cette première tentative, nommée projet Baltik 1, a échoué faute d’investisseur. Avec Ostrovets aujourd’hui, la finalité reste identique, via l’allié Biélorusse : vendre l’électricité aux pays voisins, i.e. les pays baltes et la Pologne, et maintenir de facto leur dépendance.

Il est vrai que le réseau électrique des pays de la Région (Estonie, Lettonie, Lituanie, Biélorussie, Ukraine) demeure synchronisé avec celui mis en place sous l’ère soviétique. Membre de l’Union Européenne, les pays Baltes doivent ainsi pour l’instant toujours compter avec l’approvisionnement provenant d’un réseau électrique interconnecté avec la Russie et la Biélorussie (BRELL ring).

C’est là que le bât blesse.

Début 2000, l’électricité produite en Lituanie était encore d’origine nucléaire (et domestique) à 70%. Pour l’entrée de la Lituanie dans l’UE en 2003, l’Europe avait exigé de ce pays l’arrêt de son unique centrale nucléaire, Ignalina (abritant alors deux réacteurs RBMK - même technologie qu’à Tchernobyl). Comme convenu et malgré le plébiscite populaire de 2008 en faveur de la prolongation d’activité de la centrale, ce fut chose faite fin 2009 ; lorsque que le dernier réacteur a été arrêté définitivement.

 

 

Mais ce n’est qu’à ce moment-là qu’a été bâti un véritable plan pour activer la solidarité énergétique européenne et donc l’intégration du réseau balte au sein du réseau électrique européen continental ; le BEMIP (Baltik Energy Market Interconnection Plan). Ce « retard à l’allumage » des instances européennes a créé une opportunité pour les Biélorusses : cette même année 2009 est lancé le projet Ostrovets, avec l’appui (l’impulsion ?) russe.

 

L’autonomisation des pays baltes en matière électrique a certes commencé tardivement ; mais les réalisations d’interconnexion se sont multipliées en quelques années, parce qu’elles avaient été projetées, elles, dès le début des années 2000 : deuxième liaison sous-marine entre la Finlande et l’Estonie, Estlink 2 ouverte en 2014 (le premier câble entre les deux pays, d’une capacité de 350 MW, avait été installé en 2006) ; finalisation de la liaison LitPol entre la Pologne et la Lituanie fin 2015, de celle entre la Suède et la Lituanie (NordBalt) début 2016.

Le réseau balte étant maintenant bien interconnecté (taux de 23%) avec le réseau électrique Européen, grâce à ces efforts récents, la prochaine étape du plan BEMIP est de réaliser la synchronisation des réseaux électriques baltes avec celui du continent européen – i.e. leur désynchronisation du réseau Russe et Biélorusse – d’ici à 2025. A cet égard, la coopération régionale entre les 3 opérateurs baltes des réseaux électriques (Litgrid, AST et Elering), est renforcée par la mise en place en 2016 du RSC (Regional Security Coordinator) Baltik, sous l’égide de l’ENTSO-E. Mais c’est surtout les déclarations lors de la réunion du 18 décembre 2017 de Bruxelles entre le Vice-Président de la Commission Européenne en charge de l’Energie, Maros Sefcovic, le Commissaire en charge du plan Climat et Energie, Miguel Arias Canete, et les ministres de l’énergie de Pologne, Lituanie, Lettonie et Estonie, qui marquent un engagement fort.

Ainsi, la décision sur l’option retenue (synchronisation via la Pologne ou via la Scandinavie) devra être prise dès juin 2018, à la lecture des résultats des deux études en cours qui doivent se finaliser en mai 2018 ; ceci, pour démarrer ensuite une implémentation « rapide » - et atteindre l’objectif de 2025.

 

Pour autant, ni ces déclarations, ni le vote en avril 2017 au parlement lituanien d’une loi pour interdire l’importation d’électricité provenant de « réacteurs nucléaires non sûrs » - comprendre Ostrovets –  ne semblent perturber les officiels Biélorusses. Il est vrai que la centrale d’Ostrovets produira plus d’électricité que la Biélorussie n’en a besoin et que les Russes renâclent à acheter le surplus. Dès lors, les Biélorusses ont enfoncé le clou le 26 décembre 2017 en déclarant dans l’organe de presse d’état (Belarus News) que « tout rentrera dans l’ordre quand les tranches seront en fonctionnement (2020) ; la Lituanie pourra alors nous acheter l’électricité, au prix du marché » !

 

Cela promet encore quelques tensions sur la ligne entre Vilnius et Minsk, particulièrement dans la période entre 2020 et 2025…